EN ROUTE

Pour un profane, conduire un bateau se rapproche peut-être de conduire une voiture. Cependant, la profession de marinier demande beaucoup de connaissances et compétences spécifiques.

naviguerVOIES NAVIGABLES
HORAIRES ET HEURES DE NAVIGATION
PAPERASSE
ECLUSES
ETALER
ECLUSER
VITESSE, DISTANCE ET CONSOMMATION
NAVIGATION DE NUIT
AUTRES TRAVAUX
AU CHANTIER

 

VOIES NAVIGABLES

Escaut maritimeLe réseau fluvial de l'Europe comporte 38.000 kilomètres de voies d'eau navigables. Le réseau navigable français mesure 8500 kilomètres, le réseau néerlandais 6000 km. Les voies navigables Européennes se divisent en dix classes, de I (250-400 tonnes), en passant par Va (1500-3000 tonnes), à VII (14.500-27.000 tonnes). Contrairement à un permis de conduire pour la route, un permis de navigation n'est pas valable pour toutes les voies d'eau. Pour certaines rivières, comme le Rhin, et certaines estuaires, il y a des exigences supplémentaires concernant l'équipage (patente ou pilote) et/ou l'équipement du bateau.

panneau Comme les rues, les voies d'eau ont leur nom. Les rivières et les fleuves ont un nom historique, qui date souvent de l'époque romaine ou même celte, comme 'Seine'. Les voies d'eau artificielles se dénomment parfois d'après les rivières qu'ils relient, comme 'Canal de la Marne au Rhin', d'après une région, comme 'Canal de Bourgogne' ou d'une ville, comme 'Canal de Saint-Quentin'. Les mariniers eux-mêmes rebaptisent certains canaux, par exemple, le canal entre Champagne et Bourgogne (l'ancien canal de la Marne à la Saône) est appelé 'canal d'Heuilley' et le canal de l'Oise à l'Aise 'canal d'Abbécourt' (d'après leurs premières écluses).

Ecluse de Charmes sur Moselle, dans le canal des VosgesEn Belgique et aux Pays-Bas, les canaux sont parfois dénommés d'après des rois et reines, comme 'Canal Albert' ou 'Wilhelminakanaal'. En France, on a vu aussi deux 'canal de Monsieur', en hommage au frère du roi. Quelques écluses néerlandaises s'appellent aussi (officiellement) d'après une personne royale, comme 'Beatrixsluis', mais la plupart des écluses européennes sont nommées d'après une ville ou un village proche. Beaucoup d'écluses ont aussi un numéro. En France, il y a plus de 2000 écluses...

HORAIRES ET HEURES DE NAVIGATION

contrairement aux routes, les voies navigables ne sont pas toutes ouvertes à la circulation 24/24. Les heures de route du batelier dépendent des horaires de fonctionnement des écluses ou du nombre d'heures de marche journalier autorisé par la loi. D'habitude, un bateau de commerce ne s'arrête pas pendant la journée, sauf dans les écluses. On commence la journée par un contrôle du moteur, qui est ensuite démarré. Puis on largue les amarres, le plus souvent pour entrer dans la première écluse. Les repas sont pris pendant les trajets entre écluses. Les grands biefs permettent aussi de faire quelques travaux (ménagères, entretien) ou des hobbys.

horaires variablesLes horaires de navigation varient le plus souvent non seulement par saison, mais aussi par jour de la semaine, par voie navigable et même par secteur. (Heureusement il y a des guides fluviaux et des logiciels, afin qu'on ne soit pas obligé de les connaître tous par cœur…) En moyenne, on peut naviguer douze heures par jour en France. Aux Pays-Bas, beaucoup d'écluses fonctionnent jour et nuit. Mais le nombre d'heures que l'on peut naviguer par jour n'y est pas illimité, mais fixé par la 'loi des heures de navigation'. Selon les dimensions du bateau, le nombre et les fonctions des membres de l'équipage, il y a trois modes d'exploitation :

A1 = Navigation diurne: 14 heures au plus, entre 6.00 et 22.00 heures
A2 = Navigation semi-diurne: 18 heures au plus, entre 5.00 et 23.00 heures
B = Navigation continue: 24 heures

PAPERASSE

Sur un bateau de 38m, on peut naviguer 'A1' si l'équipage se compose d'un conducteur et d'un matelot, ou 'A2' avec deux 'conducteurs' ou un conducteur et un timonier. Sur les bateaux de moins de 55 mètres de longueur, la conduite seule est autorisée, sous certaines conditions (propulseur d'étrave, limitation d'heures et des voies). Pour avoir le grade de conducteur (capitaine) il faut obtenir un 'grand permis de navigation' ou une 'patente du Rhin'. Pour les obtenir, on a non seulement besoin de passer un examen théorique, pour faire preuve de ses connaissances des voies navigables, de la réglementation, des moteurs et de la navigation, mais, en Hollande, il faut avoir aussi quatre ou trois ('grand permis limité') années d'expérience pratique, démontrable par un 'livret de service' rempli par le conducteur du bateau. (En France, une seule année d'expérience et un examen pratique (et théorique, bien sûr) suffisent pour un grand permis limité.) Le conducteur doit aussi mentionner, chaque jour, les heures de navigation et de repos de chaque membre de l'équipage, dans le 'livre de bord', même si le bateau est 'quipé d'un tachygraphe. De plus, le conducteur doit avoir une attestation VHF et éventuellement une 'patente radar'. Pour le transport de matières dangereuses on a besoin d'un diplôme dit 'ADR'(et d'un bateau adapté). Pour le transport de produits alimentaires ou déchets le batelier doit aussi avoir des attestations spéciales. Enfin, pour être artisan-batelier, il faut une attestation de capacité professionnelle (droit, comptabilité, sécurité).

ECLUSES

ecluse du Volkerak... où est le 38m?Un bateau allant de Rotterdam à Karlsruhe ne rencontre aucune écluse sur sa route. Mais si on va de Rotterdam à Lyon il faut en compter environ 220. En Belgique, Hollande et le Nord, les écluses sont en général à grand gabarit, de sorte que plusieurs bateaux peuvent écluser en même temps. La plupart des écluses françaises sont au gabarit Freycinet, où un 'Freycinet' ne passe que seul.

annonce par VHFA l'approche d'une écluse, le marinier s'annonce par VHF (radio-téléphone) à l'éclusier. La communication entre batelier et éclusier, ainsi qu'entre les bateaux entre-eux et avec des postes de gestion du trafic, se déroule en principe dans la langue du pays où l'on se trouve. Un marinier doit donc maîtriser plusieurs langues. Chaque écluse peut être jointe à son propre canal VHF (indiqué sur panneaux ou dans les guides de navigation) . L'éclusier établit ensuite une disposition du sas, en tenant compte de l'ordre d'arrivée des bateaux et de leurs dimensions. Dans cette procédure, l'utilisation de informatique gagne du terrain. En plus de VHF, les écluses sont pourvues de feux pour 'communiquer' avec leurs usagers. Un feu rouge veut dire : pas entrer, un feu rouge et un feu vert (en même temps) : écluse en préparation, deux feux rouges : l'écluse est hors service, et enfin un feu vert : entrez ! Alors, il n'y a pas de feux oranges sur l'eau, comme sur la route.

télécommandeAujourd'hui, la plupart des écluses au gabarit Freycinet sont automatisées, ce qui veut dire qu'il n'y a plus d'éclusier présent. L'annonce d'un bateau à l'ordinateur de l'écluse se fait dans certains canaux par un radar ou des cellules de détection. Sur d'autres, le marinier doit tourner une perche suspendue au-dessus de l'eau ou utiliser une télécommande pour être enregistré.

ETALER

'indications'Passer une écluse est un travail d'équipe. Dans une écluse du gabarit Freycinet, 'embrassant' exactement un bateau de 38 mètres, ce travail commence déjà avant l'entrée. L'un tient la barre (ou le joystick) pendant que l'autre est dehors et donne des indications : 'dix centimètres, cinq centimètres…' Quand le nez du bateau est entre les murs de l'écluse, l'un va au pont avant pour 'étaler' le bateau, tandis que l'autre reste dans la marquise pour 'manœuvrer'.

etalerOn peut arrêter un bateau en faisant 'marche arrière' (l'hélice tourne en sens inverse), mais aussi en le freinant à l'aide d'une corde. Cela s'appelle 'étaler'. Au bout de l'amarre, il y a une boucle qu'on met sur l'un des bollards qui se trouvent sur ou dans le mur de l'écluse. En tournant la corde progressivement plusieurs fois autour d'un bollard sur le bateau, on peut le freiner, et ensuite arrêter exactement où l'on veut.

demi-clefQuand le bateau s'est arrêté, on bloque la corde avec un nœud, appelé demi-clef. Maintenant, le bateau ne peut plus avancer. Pour éviter qu'il ne recule, on met une deuxième amarre dans l'autre sens, la 'retraite'. Pour un arrêt prolongé, de nuit par exemple, une troisième corde est placée en travers.

ECLUSER

bassinéeDès que le (dernier) bateau est amarré, l'éclusage peut commencer. A partir de son poste de commande, l'éclusier ferme la porte derrière le bateau et ouvre ensuite les vannes devant le bateau, afin que le sas se remplisse (bateau montant) ou vide (bateau avalant). Quand l'écluse est pleine ou vide, il ouvre la porte devant, et le bateau peut sortir. Dans une écluse automatique, ce cycle d'éclusage est déclenché par le marinier lui-même, le plus souvent en levant une barre bleue sur le bajoyer, connectée à un commutateur, ou à l'aide de la télécommande.

éclusiersHeureusement, il y a encore aussi des écluses manuelles, qui nécessitent un peu plus de main d'œuvre, tant pour l'éclusier que pour le marinier, mais qui sont en général beaucoup plus rapides et plus accueillantes que les automatiques ! Dans une écluse manuelle, l'un des membres de l'équipage va à terre pour donner un coup de main à l'éclusier en tournant 'la moitié' des vantaux et vannes. Pendant que le sas se vide ou se remplit, on bavarde sur le météo ou échange les nouvelles du canal...

tenir serrés les cordesEn même temps, l'autre membre de l'équipage se trouve sur le pont avant pour donner du mou aux amarres si le bateau est avalant, afin que le bateau ne reste pas suspendu aux bollards ou, au contraire, les tenir serrées quand le bateau est montant, afin qu'il ne puisse pas être poussé contre les portes par les remous. Les écluses de gabarit Freycinet ont en moyenne une dénivellation ('chute') de 2,5 mètres.

radier du buscAvalant dans une écluse Freycinet, on plie (met d'un coté) toujours le gouvernail, afin qu'il ne se pose pas sur le radier du busc de l'écluse en descendant, et se casse. Quand les vantaux sont ouverts, on largue les amarres, qui sont ensuite lovées, ça veut dire rangés de sorte qu'elles sont prêtes pour la prochaine écluse. Un éclusage dans une écluse actionnée par un éclusier dure environ 10 minutes. Dans une écluse automatique, l'éclusage prend parfois presque le double de ce temps. Une bassinée dans une écluse à grand gabarit avec plusieurs bateaux peut parfois durer une heure.

 
VITESSE, DISTANCE ET CONSOMMATION

vague de proueTout comme sur la route, il y a des limitations de vitesse sur les voies navigables. Sur les canaux à petit gabarit, la vitesse maximale autorisée pour les bateaux chargés est de 6 km/h. Mais dans les canaux étroits et peu profonds, on marche souvent seulement à 4 ou 5 kilomètres à l'heure. Si on compte en plus le temps des (nombreux!) sassements, on peut calculer que nous ne faisons parfois pas plus de 30 kilomètres par jour. Sur les voies à grand gabarit, en revanche, un Freycinet peut marcher à 13 km/h. Sur les rivières, la vitesse est aussi influencée par la direction du courant, qui peut atteindre plus que 7 km/h, dans le bon... ou dans le mauvais sens!

Parce qu'il y a sur les grandes voies navigables aussi moins d'écluses, on y fait parfois plus de 200 kilomètres par jour. A cause de tous ces facteurs, un voyage de Rotterdam au nord de la France nous prend en moyenne 3 à 4 jours, vers Paris et Reims environ une semaine, et vers le bassin Rhône-Saône 2,5 à 3 semaines. Un bateau à vide éprouvant moins de résistance de la part de l'eau qu'un bateau chargé, marche plus vite de quelques km/h.

vide chargé

L'enfoncement du bateau et le profil de la voie d'eau ont aussi des effets sur la consommation de carburant. En naviguant chargé, notre moteur utilise en moyenne deux fois plus de combustible qu'à vide (ou ballasté). Et dans un canal mal dragué le moteur consomme parfois 1,5 fois plus de carburant que dans un canal bien entretenu du même gabarit! Bien sur, la consommation de gasoil dépend aussi de la manette. Il est très rare qu'on la mette à 'pleins gaz'. Notre moteur peut tourner de 700 (au ralenti) à 2000 (pleine puissance) rotations par minute. Généralement, le compteur de tours moteur affiche entre 1000 (petit gabarit) en 1500 (grand gabarit) rotations. Les 1600 à 1800 tours sont utilisés seulement sur des grands fleuves, avec beaucoup de contre-courant, comme le Rhône ou le Rhin. Les derniers 200 tours sont pour des 'cas d'urgence'. Car en augmentant le régime, la consommation de gasoil augmente relativement plus que la vitesse! Il paraît peut-être paradoxal, mais dans un canal peu profond, en réduisant le nombre de tours moteur, on économise non seulement de gasoil, mais souvent on gagne même un peu de vitesse! En moyenne (ça veut dire voies de petit et de grand gabarit confondues, bien et mal entretenues, avec et sans courant, avec un chargement de 240 à 300 tonnes), notre consommation de gasoil est de 0,007 litres par tonne/kilomètre transportée.

Du fait de sa petite vitesse à l'heure, le transport fluvial donne souvent l'impression d'être un mode de transport pas bien moderne et peu économique. En pensant ainsi, on oublie que, si nous sommes peut-être dix fois plus lents qu'un camion, nous transportons bien plus que dix camions dans un seul coup, tout en consommant, en proportion, moins de combustibles! D'ailleurs, beaucoup d'entreprises qui font transporter leurs produits par voie d'eau considèrent la période où nous sommes en route comme du stockage. D'ailleurs, bien souvent, notre date d'arrivée à la destination est planifiée 'juste à temps'. Alors, être lent ne veut pas dire qu'on n'est pas pressé…

NAVIGATION DE NUIT

radarComme dit ci-dessus, nous ne sommes pas autorisés à continuer toute la nuit, mais, surtout en hiver, nous sommes souvent en route quand il fait noir. Les voies navigables ne sont pas, comme les voies terrestres, éclairées la nuit, alors il nous faut emporter nos propres ressources. Dans les petits canaux nous nous servons d'un phare, sur les grandes voies nous utilisons un radar.

Un radar fonctionne de manière suivante : l'antenne tournante ou scanner, qui se trouve au-dehors, émet un signal, qui est réfléchi par des objets (bateaux, digues, balises) aux environs. Ces échos sont captés par l'antenne et ensuite projetés comme un plan, sur un écran qui se trouve dans la marquise. Pour savoir justement interpréter une image radar, il faut disposer de connaissances des lieux et de beaucoup d'expérience.

La navigation terminée, nous nous amarrons près d'une écluse ou à un quai. Ancrer, nous ne le faisons pas très souvent, parce que notre chien de bord aime faire un petit tour sur terre le soir.

AUTRES TRAVAUX

En plus de naviguer, écluser, s'affréter, charger et décharger, un artisan marinier a beaucoup d'autres occupations habituelles. Comme le nettoyage et l'entretien de l'extérieur et de l'intérieur (cale) de son bateau : lavage, peinture, petites réparations, maintenance des moteurs et des cordes etc. Surtout en France où il n'y a plus beaucoup de chantiers, c'est bien facile si on peut se débrouiller soi-même. Soudure, électricité, menuiserie, … un marinier doit s'y connaître dans tous les domaines ! A ne pas oublier non plus l'administration, qui comporte non seulement la comptabilité, mais aussi tenir à jour tous les documents, attestations et certificats nécessaires. Il faut visiter des réunions des organisations professionnelles, colloques, salons, entreprises spécialisées.... Pour 'organiser' toutes ces affaires, un marinier d'aujourd'hui passe beaucoup de temps au téléphone et à l'ordinateur. Tout compte fait, ces autres occupations (non rémunérés, au contraire…) demandent à base annuelle à peu près autant d'heures de travail que la navigation en soi. Mais contrairement à un routier, le batelier et la batelière peuvent effectuer heureusement beaucoup de ces travaux en 'route'.

poncer peindre
laver abraser

AU CHANTIER

Tous les trois ans en moyenne, un bateau va au chantier pour des (grands) travaux d'entretien, des réparations, des investissements ou des inspections. Un bateau peut être 'mis à sec' entièrement ou partiellement, en cale sèche, dans un dock flottant ou sur un 'slipway'. Comme pour les véhicules automobiles, il y a des contrôles techniques périodiques pour bateaux. Tous les cinq à sept ans, l'état de la coque et la conformité aux prescriptions de sécurité et aux exigences environnementales sont vérifiés par des experts. Il y aussi des contrôles périodiques obligatoires pour les radars, les systèmes de commande électroniques et hydrauliques, grues, gilets de sauvetage, extincteurs, installations à gaz liquéfiés… Si tout est bon, le 'certificat de visite' ('communautaire' ou 'rhénan') est prolongé et le bateau peut se mettre de nouveau…en route !

dock flottant soudure
carénage expert
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